Rencontre avec Régine Hatchondo
L’Agence — Mardi 18 octobre 2022
Entretien avec Régine Hatchondo,
présidente du Centre national du livre.
L’Agence quand les livres relient : Le Centre national du livre accompagne les acteurs de la chaîne du livre (auteurs, traducteurs, éditeurs, libraires et bibliothèques), mais on connaît moins l’aide qu’il apporte aux structures de médiation du livre et de la lecture. Qu’est-ce qui a motivé votre choix de soutenir une association tête de réseau telle que l’Agence quand les livres relient ?
Régine Hatchondo
Lors de mon arrivée, nous avons pris conscience que le Centre national du livre accompagnait les acteurs de la filière sur le plan économique, et évidemment culturel pour les festivals littéraires et pour les bourses aux auteurs, mais que nos actions de médiation, qui existent notamment en relation avec les bibliothèques, étaient limitées. Or, les études montrent que les enfants décrochent dès l’âge de 12 ans de la lecture, et que les écrans sont un véritable ravage sur le cerveau – sur la vie des enfants en particulier. Si l’on perd chaque année le jeune lectorat, l’érosion de la lecture menace l’activité de toute la filière. Il apparaît donc nécessaire de travailler en faveur de l’élargissement du lectorat et de la lecture, pour que cette filière magnifique du livre, qui est la première industrie culturelle, le reste encore longtemps.
Le Président de la République ayant décidé que la lecture serait une Grande cause nationale pour 2021-2022, il nous a semblé que c’était l’occasion rêvée pour lancer des initiatives dans le domaine de la lecture, comme celle menée avec l’Agence quand les livres relient.
L’Agence : Aujourd’hui, les bienfaits de la lecture partagée d’albums avec les tout-petits et leurs familles ne sont plus à démontrer. Pourquoi s’être concentré, avec le projet de l’Agence quand les livres relient, sur des lectures proposées aux bébés et aux parents, dans ces lieux si spécifiques que sont les centres de Protection maternelle et infantile ?
Régine Hatchondo
En dehors de la convention signée en décembre 2021 avec l’Éducation nationale, le fil rouge de notre démarche cette année a été de sortir le livre de l’étagère pour qu’il aille au-devant de publics qui n’ont pas spontanément le réflexe de lire. À ce titre, je me réjouis que l’action de l’Agence quand les livres relient se soit portée sur les centres de Protection maternelle et infantile. Ce sont des espaces clés de mixité sociale, très ouverts, très généreux, qui réunissent les bébés et les parents, où l’on prend le temps d’apprendre, de créer du lien avec son enfant, de susciter une nouvelle rencontre avec les tout-petits – et même les plus grands jusqu’à 6 ans. Autre atout : leur couverture territoriale très importante puisqu’il existe 1100 centres de PMI à travers la France. Le travail des médiateurs permet de tisser des liens avec un tout-petit et son parent autour d’un album en quelques minutes, ce qui a aussi le mérite d’apaiser chacun avant la consultation médicale.
Dans le cadre de la lecture Grande cause nationale, nous avons beaucoup travaillé sur ce lien parents-enfants. Dans nos études sur les jeunes et la lecture, 92 % des adultes qui lisent déclarent qu’ils se souviennent avec émotion de la lecture du soir par l’un de leurs parents, souvent les mères !
L’Agence : En quoi ce projet « Dans la salle d’attente… Lire ensemble à la PMI » s’inscrit-il dans le cadre des actions en faveur de la lecture, facteur d’inclusion sociale, Grande cause nationale, et comment s’articule-il avec les autres projets que le CNL a soutenus cette année ?
Régine Hatchondo
Votre projet « Dans la salle d’attente… » fait écho à l’action de l’association Lire pour en sortir, soutenue par le CNL, qui se déroule dans les salles d’attentes des prisons, avant les parloirs, grâce à l’installation de petites bibliothèques où les enfants et les parents, souvent la mère, attendent avant de retrouver le membre de la famille détenu. Les bénévoles de l’association s’y rendent le mercredi et le samedi, jours de visite des familles, pour lire des livres à voix haute aux petits et faire lire les ados. L’idée est de créer un lien entre les parents et les enfants, une forme de douceur apportée par la lecture.
Dans le même esprit, nous avons également travaillé avec Lire et Faire Lire (lectures trans-générationnelles dans de toutes petites communes), avec le groupe SOS Culture (lectures de collégiens dans des Ehpad) et avec Le Labo des histoires.
Par ailleurs, en lien avec Lire pour en sortir et l’Académie Goncourt, nous œuvrons à la création d’un Goncourt des détenus. Il y a eu près de 1000 interventions de médiation en France ; nos actions visent l’apaisement, la création de liens, et cherchent à donner envie de lire.
En 2021, nous avons aussi créé le quart d’heure de lecture national, le 10 mars. Nous le reconduisons avec l’idée de l’étendre à tous les collèges, tous les lycées, toutes les écoles… et au-delà : pourquoi pas dans les entreprises ?
Enfin, notre convention très riche avec l’Éducation nationale nous permet de créer des master-classes d’auteurs dans les collèges et lycées en partenariat avec le pass culture. Nous organisons également des résidences d’auteurs, plus longues (jusqu’à 6 demi-journées), dans les établissements scolaires, avec une ou plusieurs classes. La rencontre avec des auteurs est une opportunité pour les enfants et les adolescents de découvrir à la fois le travail de création et la littérature contemporaine. De manière générale, à l’école, les élèves s’attendent à être évalués, or nous proposons un pas de côté pour être dans le plaisir de la discussion.
L’Agence : Cette année Grande cause nationale s’achève. Dans la continuité des actions menées, pourriez-vous nous dévoiler les perspectives et nouveaux axes de travail engagés par le CNL ?
Régine Hatchondo
Nous allons conforter et renforcer ce que nous avons démarré cette année. Nous pérenniserons les actions lancées. Pour se faire, nous avons créé une nouvelle aide au développement de la lecture à laquelle les associations pourront désormais candidater, comme le faisaient avant les bibliothèques, l’élément majeur de décision du financement de l’action étant le travail de médiation. Par ailleurs, nous allons essayer d’augmenter de 50 % la présence des auteurs à travers les master-classes dans les écoles, les collèges, les lycées, les hôpitaux, les Ehpad… Et tenter d’entrer davantage dans les entreprises qui peuvent aussi, si on les y aide, recevoir des masters-classes d’auteurs, accueillir des auteurs en résidence, voire éventuellement recréer des clubs de lecture !

Photo © JF Robert / Modds